Kukaï de Lyon, jeudi 16 juin 2022
Ginkô pique-nique + kukaï café
« Ombre et lumière »
Animateurs : Danyel Borner et Patrick Chomier
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Hélène Massip
Fin de saison de nos ateliers où haïjins fondent au soleil. En ce soir de canicule, le parc de la Tête d’Or est sous les frondaisons un refuge salutaire. Le thème « Ombre et lumière » sans citer ces deux mots guidera nos plumes avant pause gourmande sur banc et pelouse arborée d’une contre-allée.
En lieu et place du « trou normand » des lectures, Patrick se sentant l’âme scribe nous propose un kukaï classique avec nos textes glanés. À l’heure de fermeture du parc, nos pas nous conduisent au Grand Café de Genève pour conclure cette sympathique soirée en petit comité.
Avec 2 voix :
hauts dans le ciel
les oiseaux plus rapides
que l’avion
Béatrice Aupetit-Vavin
la nuit puis le jour
l’ami traverse la cour
avec ses questions
Hélène Massip
vitrail de sapins
toutes les nuances de vert
sans quitter mon banc
Danyel Borner
Avec 1 voix :
La roseraie / Au soleil couchant / Presque une image
Jacques Beccaria
une beauté / en robe longue, fluide et blanche / surgit dans la nuit
Patrick Chomier
Fraîcheur / Au plus profond du bois / Un champignon luisant
Hélène Massip
un tiers de ciel / deux tiers d’arbres frémissants / la petite équipe
Danyel Borner
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Kukaï de Lyon, jeudi 19 mai 2022
Rengay sur le thème « Ce qui me ressource »
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Laurence Fischer, Nicolas Giacchero-Amat, Hélène Massip, Annie Reymond
Le rengay est une forme courte en 16 vers alternés issue du renku et créée en 1992 par Garry Gay, photographe et poète, cofondateur de The Haiku Society of America.
Le rengay développe un seul thème et le sujet change à chaque strophe, permettant d'enrichir le poème.
Grilles préformatées distribuées pour 6 versets selon deux formules (2 ou 3 participants). Nous sommes un nombre pair, donc 4 binômes pour mêler des textes conçus en amont avec une part d’adaptation et de création pendant la séance. En principe 5-7-5 (ou moins) et distique en 7-7 si on peut.
Vu le désordre, la douleur et l’inquiétude quotidienne partout et sur tous les sujets, il peut sembler important de nous recentrer sur ce qui nous ressource vraiment, en tout temps et en tout lieu, voire depuis toujours. En plus de l’amitié qui nous fait nous retrouver, chacun a son jardin secret et son baume en panacée.
Une journée à la douce cadence, la musique, l’eau et son souvenir, le chant du corps, la nature, les proches, les pages tournées… Cet atelier montre cela et fut lui même une belle respiration !
Structure : A (5-7-5) B (7-7) A (5-7-5) B (5-7-5) A (7-7) B (5-7-5)
A Hélène Massip
B Nicolas Giacchero-Amat
Assis ensemble
Sous le tilleul odorant
Le chant des grillons
Dernière étoile à l’aube
Contemplation absente
Pas à pas l’espace
S’ouvre entre les montagnes blanches
Être un flocon
Abdomen gonflé
dans une durée inconnue
atteindre le Samsara
À pleine voix chanter !
Ensemble, vibrer, chanter !
Nager un temps
dans la rivière émeraude
Enfance
A Laurence Fischer
B Jacques Beccaria
Réveil en douceur
Contre mon oreille
Le ronron du chat
La lumière du matin
Tous les matins
Retour de marché
Sur la table
Les couleurs du printemps
Sur l’ardoise
D’une écriture appliquée
Le plat du jour
Balade le long du Rhône
Le vent dans les tilleuls
Pensées du soir
À l’approche de la nuit
Et à l’heure du repos
A Béatrice Aupetit-Vavin
B Marcelle Botto
premières cerises
de l’enfance à aujourd’hui
même émerveillement
Chaque année de fleurs en fruits
Mai toujours recommencé
balade en forêt
un chevreuil fait du hors piste
mon cheval s’emballe
doux soirs d’été
la danse folle des insectes
du rock à la radio
L’enfant court et s’arrête
Chaque pas est découverte
pivoines au jardin
corolles moussantes et colorées
belles épanouies
A Danyel Borner
B Annie Reymond
piano ou violon
un motif plus un motif
en pays de Glass
mise en route du ventilo
au lac les canards m’attendent
tutoyer les anges
je suis un nouvel enfant
du baroque
mon troupeau – ah
onze frimousses souriantes
fières de moi
il est bien trop court Satie
le chemin de ta lenteur
au bout de l’idée
le soleil réchauffe l’eau
course des nuages
A Nicolas Giacchero-Amat
B Hélène Massip
À la fête foraine
pendu, tête en bas
début de l’été
Ta main dans ma main
Traverser le vent
Lune de sang
légère tache dans l’oeil
ai-je déjà mille ans ?
Huiles
sur nos peaux longtemps massées
parfums du grand calme
Le chant du rossignol m’appelle
Il est l’heure du thé
En promenade côte à côte
aussi libres que nos rêves
Ralentir le pas
A Annie Reymond
B Danyel Borner
(sauf 3 et 4 inversés + 5 réalisé à deux)
silence
dans la brume d’un livre
l’esprit envolé
voix chaude voix murmurée
notes aiguës au bord des larmes
coucher du soleil
dans la chambre en ricochets
le vibraphone
jusqu’au bout de la nuit
tourner les pages
tourner les pages
passé présent ou futur
au coeur au corps résonances
Dong Drong Dllong
un petit caisson de basses
me hérisse le poil
A Hélène Massip
B Nicolas Giacchero-Amat
(sauf 6 réalisé à deux)
Retour aux sources
Au fond de ma bibliothèque
Une toile d’araignée
Écrire, creuser
La terre noire de l’enfance
Page à page
La poésie sonne et roule
Heure d’été
Une langue
Restée longtemps étrangère
Danse de bruyère
J’écris sur les nuages
Et puis j’attends la pluie
Feuilles jaunies
À chaque saison ses haïkus
Kukaï de Lyon
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Kukaï de Lyon, mardi 26 avril 2022
"La ville"
Animateur : Patrick Chomier
Participants : Marcelle Botto, Laurence Fischer, Danyel Borner, Irène Chaléard, Jacques Beccaria
1ère partie : Nous revenons sur l'atelier du 27 janvier dernier en précisant et nuançant les différentes catégories de césures possibles (1,2,3,4 ou 5).
2ème partie : kukaï avec pour thème : la ville.
Ecriture de 3 haïkus (1 seul de chaque parmi les 5 catégories vues précédemment). On se retrouve avec 18 haïkus et nous en choisissons 2. Béatrice Aupetit-Vavin ne pouvait venir ce mardi et souhaitait participer au kukaï, c'est accepté.
Avec 2 voix :
grêlons bondissants
sur le macadam
mes fleurs épargnées ?
Béatrice Aupetit-Vavin
dans l'ascenseur
un parfum envoûtant
la voisine est sortie
Patrick Chomier
Avec 1 voix :
du monde en terrasse / seul attablé / j'ai un avis sur tout
Irène Chaléard
Embouteillages / Volant au-dessus des voitures / Héron
Laurence Fischer
La lune / Toujours du même côté / Quand je la regarde
Jacques Beccaria
Rendez-vous en ville / Faire le vide / Ne voir qu'elle
Marcelle Botto
Rue de la Ré / Un samedi après-midi / Disparaître
Marcelle Botto
Encore plus vert / Les arbres / Sur le béton
Marcelle Botto
douceur du soir / sur la terrasse du bistrot / une dispute éclate
Béatrice Aupetit-Vavin
elle traverse la rue / la jolie femme tatouée / pouah une araignée !
Béatrice Aupetit-Vavin
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Kukaï de Lyon, jeudi 7 avril 2022
"Fleurs"
Animation : Jacques Beccaria
Avec : Béatrice Aupetit-Vavin, Danyel Borner, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Laurence Fischer, Nicolas Giacchero-Amat, Annie Reymond
Nous échangeons sur ce qui nous plaît dans le haïku : poème simple, dépouillé, forme courte comme l’aphorisme, la brièveté en 5-7-5 syllabes quand structure et contenu coïncident, les sonorités, la possibilité d’une perception directe, le contraste entre deux images, la douceur, les sujets traités tels que la nature, le quotidien ou l’humain et la suggestion qui laisse l’interprétation ouverte et une part de mystère.
Thème d’écriture donné aujourd’hui : « Fleurs » (deux textes proposés, deux retenus).
Haute mer
Ces roses dans ma cabine
en plastique
Laurence Fischer (3 voix)
avec 2 voix :
Bougainvillier
Je fais le tour du monde
Au premier regard
Jacques Beccaria
Fleurs de Bach
trois gouttes d’éternité
sur le bout de la langue
Nicolas Giacchero-Amat
salon glacé
chaque bouquet
droit dans sa botte
Danyel Borner
une belle rose
toute fraîche juste à l’entrée
de l’ehpad
Patrick Chomier
Avec 1 voix :
sept pivoines roses / écloses ce matin / que disent les astres ?
Irène Chaléard
souffle printanier / envolée de pétales roses /chez le voisin
Irène Chaléard
graines de pissenlit / le vent souffle / vers le cimetière
Béatrice Aupetit-Vavin
La couleur / De la campanule / L’Italie ?
Jacques Beccaria
Été boréal / linaigrettes ou pré enneigé / je ne sais pas
Laurence Fischer
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Kukaï de Lyon
Kukaï numérique de mars / avril 2022
"L’éphémère"
Animateur : Danyel Borner
Participants : Jean Antonini, Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Natacha Carle-Bezsonoff, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Laurence Favre-Lorraine, Laurence Fischer, Nicolas Giacchero-Amat, Claire Mottet, Annie Reymond, Véronique Viala
Nouvelle édition de kukaï numérique pour souscrire au thème du Printemps des Poètes que nombre d’entre nous ont croisé et nourri de leur présence et textes en différents lieux et rencontres. Un long temps pour écrire et commenter entre nous ce qui nous traversa ou nous figea dans ce maelström haineux et guerrier d’une société en perpétuelle cavalcade dans le mur. Une parole brève, une grâce légère, mais qui restent, en suspension...
fleur de pissenlit
le vent
l'emporte
Annie Reymond (4 voix)
une douzaine de notes
au milieu de l'herbe verte
ah ! les violettes !
Jean Antonini (3 voix)
midi presque nuit
et puis ce frisson étrange
le temps d'une éclipse
Irène Chaléard (3 voix)
passer
avant que la plume ne touche
le sol
Claire Mottet (2 voix)
fin d'hiver au sec
déjà fanées les jonquilles
à peine écloses
Irène Chaléard (2 voix)
dring de bicyclette
dans le porte-bouteille
une bière
Annie Reymond (2 voix)
un bout'chou
posé sur son sein
nuit de guerre
Danyel Borner (2 voix)
les cris d'un corbeau –
je viens juste d'émerger
de la nuit
Jean Antonini (2 voix)
un papillon !
parfois son battement d’aile
bouleverse le monde
Véronique Viala (2 voix)
rideau de perles
un parfum d’été
dans ses frissons
Véronique Viala (2 voix)
Avec 1 voix :
gare Part-Dieu / entre deux trains / l'embrasser
Laurence Fischer
Clameur du fleuve / sous l’ondée enfantine / les morceaux du temps
Nicolas Giacchero-Amat
Empreintes blanches / des cristaux volubiles – / bourgeons nus au vent
Laurence Favre-Lorraine
mon grand-père – sa vie / sa pipe Mozart up and down / son éphéméride
sortie du théâtre / les magnolias s'étiolent / papillon de nuit
Claire Mottet
balançoire / j’entends le rire / de ma petite fille
sommeil du chat / les étamines du pissenlit / chatouillent ses narines
au sortir du four / la belle tarte aux pommes / de la buée sur mes lunettes
Natacha Carle-Bezsonoff
tombe de mes aïeux / les regrets éternels / s’effacent
hier la marelle / aujourd’hui l’automne tranquille / le vent souffle les bougies
Béatrice Aupetit-Vavin
galet bleu bien lisse / pour un ricochet en mer / plouf !
Irène Chaléard
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Kukai de Lyon, jeudi 24 fevrier 2022
"Séance haïbun"
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Laurence Favre-Lorraine, Nicolas Giacchero-Amat, Robert Gillouin, Catherine Guillot, Christian Lherbier, Catherine Pigeon, Véronique Viala
Rappel de la forme haïbun, texte en prose avec surgissement de haïkus ponctuant le récit sans redondance, selon principe de césure et liens subtils de toutes les formes que nous étudions et apprécions. Citation de La sente étroite du bout du monde (une des traductions possible), le voyage que firent Bashō et Kawai Sora son disciple, d’Edo jusqu’à la région intérieure d’Oku en 1689.
Exercices d’atelier en 3 points :
1) Texte à compléter avec 1 ou 2 haïkus de son cru.
Extrait de Le Bouquet (Henri Calet, 1947) :
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes, il valait mieux que tout sorte. Et, pas moyen de se cacher des autres. Il fallait faire cela également devant tout le monde ;dévoiler son cul, dévoiler son âme. Finalement, je suis sorti pour m’asseoir sur un tas de mâchefer en bordure des barbelés, à côté d’un poste de garde, et j’ai continué à pleurer près des sentinelles. J’avais moins de gêne en présence d’étrangers ; je pleurais dans une autre langue. »
Mémoire rouge sang
des corps déchirés
Parfum métallique
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
Catherine Pigeon
*
dans la poussière
une colonne de fourmis
vers quel voyage
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
un chant dans la nuit
certains reprennent
en canons
Véronique Viala
*
Poussière de la route
Ciel de plomb zébré d’éclairs
Gens et bêtes se terrent
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
Marcelle Botto
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
Allégé
j'aspire
à ficher le camp
Patrick Chomier
*
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
Bord de route
une larme après l’autre
nouvelle frontière
Nicolas Giacchero-Amat
*
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
Le ciel était noir
J'ai regardé les étoiles
Le vent
Jacques Beccaria
*
Tranchées surpeuplées
loin des fusils – solitude
inaccessible
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
pensées lointaines
dans une poche proche
une photo flétrie
Catherine Guillot
*
léger sur les pas
ouvert nature et
âme lumière
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
loin devant soleil
gris de fer quittons le mur
et sourire là
Laurence Favre-Lorraine
*
Boire, manger, pleurer,
Rire, dormir, espérer, croire
L’Universel
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
Autour de la table
Se dire que la guerre est loin
Soirée kukaï
Christian Lherbier
*
course des ombres
bientôt le soir descendra
avancer quand même
« J’étais plein, j’avais attrapé une bonne cuite de malheur sur les routes...»
le goût du sel
à cette heure précise
on rentrait les vaches
Danyel Borner
2) Choisir 2 haïkus parmi ces 4 propositions (époques et auteurs différents) et composer un petit texte en prose (maximum 10 lignes) :
juste ça / le velours de ta bouche / dans mon cou
Christian Cosberg
Lâchant le ballon / l’enfant dit qu’il monte au ciel / rejoindre son père
Salim Bellen
pousses de bambou / si les hommes n’étaient pas / vous fleuririez
Issa
pluie de printemps / sous le parapluie / les corps se rapprochent
Sōseki
*
Chaque printemps les bambous montaient dans la haie leurs tiges claires qui se couvraient bien vite de belles feuilles vertes lancéolées.
Le voisin m’en faisait reproche car, me disait-il, ils gâchaient sa vue en montant si haut.
Et, chaque printemps, armée de mon sécateur je coupais ces gêneurs pourtant si élégants et gracieux.
Pousses de bambou
Si les hommes n’étaient pas
Vous fleuririez
Marcelle Botto
*
pluie de printemps
sous le parapluie
les corps se rapprochent
J’ai mis ma plus belle robe.
Celle, légère et fleurie, qui épouse mon corps et danse sur mes chevilles.
Mes sandales à talons claquent fièrement à chacun de mes pas ; la fantaisie de mes bracelets cliquète à mon poignet.
Je ne sais pas combien de temps je pourrai contenir les battements de mon coeur…
M’approchant de toi, j’aimerais tellement pouvoir maîtriser ce sourire idiot qui s’élargit sur mon visage !
Mais il y a ton odeur qui me happe, je sais que j’ai perdu.
juste ça
le velours de ta bouche
dans mon cou
Catherine Pigeon
*
Parfois la bombe, n’est pas celle que l’on croit. Si tout commence souvent, la vie je veux dire, par une histoire d’amour. Un homme une femme. Chabadadabada.
Juste ça
Le velours de ta bouche
Dans mon cou
D’autres fois, la bombe, sous les bombes, une autre histoire…
D’abord le père. Puis la mère. Puis les enfants. Sur les routes, quitter la maison, les bombes, les insultes, les cailloux, la terre. Des baluchons, deux trois photos, deux fois rien. La pluie, le vent, les orages. Un camp. Un camp de travail. 18 heures sur 24, dans des champs de coton. Juste pour manger. Juste pour survivre. D’abord le père. Puis la mère. Puis les jeunes filles.
La trop jolie se défigure.
Pousses de bambou
Si les hommes n’étaient pas
Vous fleuririez
Véronique Viala
*
Lâchant le ballon
l’enfant dit qu’il monte au ciel
rejoindre son père
Il s’appelait Henri Calet son pauvre père. Heureusement, plus tard il pourra le retrouver à la lecture de ses livres. Observant ce ballon qui s’éloigne sous une averse naisssante, sa grande sœur et moi, doucement, lui prenons la main.
Pluie de printemps
sous le parapluie
les corps se rapprochent
Patrick Chomier
*
pluie de printemps
sous le parapluie
les corps se rapprochent
Avec un peu de bleu et de jaune, on dessine le crépuscule d’une vie.
J’ai enfilé un vieil imper et j’ai couru au dehors. Au sol dans les creux du pavé, des flaques qui n’ont pas une heure reflète déjà nos figures inquiètes.
Il y a les hommes qui courent et ceux qui attendent. Abriter sous un porche, la face trempée, avec au bord du visage un amas de gouttes prêt à casser.
Il y a les amoureux ou ceux qui font semblant de l’être, sagement accolés sous l’armature protectrice d’un parapluie.
Au coin de la rue derrière le feu. Il y a cette affiche publicitaire pour une maison de pompes funèbres « Dantin père & fils ».
Lâchant le ballon
l’enfant dit qu’il monte au ciel
rejoindre son père
Nicolas Giacchero-Amat
*
J'avais faim j'avais soif et le soir tombait vite. Le brouillard au-delà des fenêtres et mon large fauteuil mauve m'encourageaient à rester chez moi.
Pluie de printemps
sous le parapluie
les corps se rapprochent
Je suis sorti à la nuit, quand même, pour aller chez toi
juste ça
le velours de ta bouche
dans mon cou
Catherine Guillot
*
Lâchant le ballon
l’enfant dit qu’il monte au ciel
rejoindre son père
File d’attente à l’entrée du musée des arts décoratifs.
Les visiteurs attendent patiemment, silencieux et masqués, sauf une fillette qui souffle et tourne en rond. À mon niveau un homme au regard bleu intense semble observer le ciel d’un autre bleu.
Je lève la tête et imagine… Le temps ne me paraît pas si long.
juste ça
le velours de ta bouche
dans mon cou
Irène Chaléard
*
Cette idée d’aller pisser ensemble, je ne comprendrai jamais les êtres humains. Je veux
juste ça
le velours de ta bouche
dans mon cou
dans la douceur des champs verts de printemps.
Midi sonne on danse le Madison, biens alignés en droite franche colorée, rythmée avec la
pluie de printemps
sous le parapluie
les corps se rapprochent
se touchent et s’éloignent. Tout se mêle, musique, corps et lumière. Un moment suspendu qui s’imprime à jamais.
Laurence Favre-Lorraine
*
juste ça
le velours de ta bouche
dans mon cou
On peut dire que je le sens encore ce printemps. Il succède à un autre qui me vit mort. Tout le monde manque à tout le monde mais beaucoup se forcent. Cohabitation ou solitude, il est des seuils où la ronce est domesticable, chemin ouvert. Le mur est cloqué, les outils à portée de main pèsent si lourd, qu’ai-je hérité de mon grand-père maçon ? Du matériel mais peu de courage. Demain, demain, je sors.
Pousses de bambou
Si les hommes n’étaient pas
Vous fleuririez
Danyel Borner
3) A partir du thème donné ≪ Résistance ≫, réaliser un haïbun (10 a 12 lignes et 2 haïkus maximum) :
Tous me disaient : accepte
Le long procès, les licenciements, et tout ça pour finir par accepter une somme dérisoire qui clôturerait l’affaire
Il n’était plus là c’est vrai, mais nous avions été deux à nous battre
Ton silence
Plus fort que les mots
J’ai dit NON
Marcelle Botto
*
Journal de 20 h
et sa mine grave
Welcome Omicron
J’en ai encaissé des confinements, des couvre-feux et des isolements.
Je les avalées les couleuvres des gestes barrières, des masques et des gels hydro-alcooliques.
Je les ai supportés les bisous interdits, les câlins prohibés et les proches lointains.
J’ai joué le jeu des piqûres de vaccins : 1, 2, 3, soleil !
Mais là, c’est non.
Définitivement non.
Dehors mon masque restera dedans.
Dans mon sac, dans ma poche ou même dans ma main
Et mon visage s’offrira au vent, à la pluie, au soleil, à la vie
Arpenter les rues
le visage nu, insolent
Vivre, parfois, c’est résister
Catherine Pigeon
*
Il y avait là tout ce que la société de consommation peut offrir
De la tentation en tranche, en sandwich, en spots publicitaires,
Une cuisinière
l’intégrale de Boris Vian
un grille-pain
un sèche-cheveux sans fil
une télé grand écran
un coupe oeuf électrique
une console de jeux vidéos
des paires de chaussures, des escarpins, des tennis, des bottes, des bottines,
des fraises Tagada
un séjour en thalasso
des placements avantageux
des actions chez Total
l’intégrale de Boris Vian
ta main dans la mienne
elle seule je la consomme
sans modération
Véronique Viala
*
L’enfant est au piquet. Au coin. Privé de dessert. Il faut qu’il demande pardon mais il n’est pas d’accord. Hier après-midi il l’a bien entendu crier « Merde ». Trois fois et très fort. Pourquoi Papi il a le droit de dire des gros mots et pas moi ? C’est pas juste. C’est décidé, il ne demandera pas pardon.
… mais …
trop bon
le gâteau de mamie
il chuchote « pardon »
Béatrice Aupetit-Vavin
*
J’ai cru depuis des semaines, voir se masser de l’autre côté de la rive des ombres sombres.
De furtives lumières s’agitaient au crépuscule.
C’est dans ma chambre ou peut être ailleurs. Peut-être est-ce à la frontière orientale de l’Ukraine.
C’est toujours quelque part que l’on connaît sans le connaître, qu’on voit sans le voir.
Déjà l’odeur de la mousse du chêne en hiver a laissé sa place à une émanation âcre, pleine d’essence brûlée et de fumée blanche.
Déjà les ombres se sont déplacées et dehors, la neige fond sous les empreintes des engins mécaniques.
Par la fenêtre
un dehors de fin du monde
moi buvant mon thé
Nicolas Giacchero-Amat
*
Tant de mois masqués. Jours isolés, soirées sans amis, nuits sans surprises.
Trop moches
les nouvelles à la radio
je vais sortir danser
Le mimosa a fleuri, les violettes aussi. Bientôt les roses...
Écrire sur nos genoux
bientôt ensemble au Parc
trois assiettes pour dix
Catherine Guillot
*
Mon père, enfant des montagnes et des chalets de dentelles de bois, école dans la vallée, chaque jour devait accueillir ces allers et venues en toutes saisons.
Neige bleutée
des chemins déjà cachés
le corps lourd et dur
Le maître en blouse grise, rigide et autoritaire dispensait le savoir. Il fallait remonter au chalet, lumière rasante, neige aux genoux. On arrivait, la porte s’ouvrait et la chaleur accueillante, jusqu’au lendemain.
Laurence Favre-Lorraine
*
Tenter d’écrire un texte, malgré soi, malgré le vide en moi, malgré tout, malgré la fatigue, la lassitude.
Faire un effort, se donner des claques mentales, tenter d’évacuer la brume dans mon cerveau.
Un sursaut, un flash. Faut-il me pincer, m’insulter en silence ou m’abandonner à cette léthargie…
Pourquoi me battre, à quoi bon résister à cette seule envie : Poser la tête sur la table entre mes bras.
Insomnie
Saisir un haïku
Se le répéter
Christian Lherbier
*
Du givre sur les boutons d’hortensia apparus précocement. Du givre hier déjà et avant-hier. Et des gelées à venir ; forcément des gelées en mars ou en avril. Mais où ont-ils la tête pour prendre l’air en plein hiver ? À peine un rayon de soleil en janvier puis un autre en février un peu trop vif, un peu trop chaud. Et voici la nature printanière, à ses risques et périls. Résistera-t-elle aux prochains frimas nocturnes ? L’année dernière déjà, de nombreuses fleurs n’ont pu s’épanouir mais la leçon n’a pas suffi.
ciel dégagé
déjà une envie de dormir
à la belle étoile
Irène Chaléard
*
Mais comment font-ils ? Les yeux écarquillés, les oreilles pleines de boue, ah, elle se déverse la diarrhée ! Tous les jours, chaude, visqueuse et pestilentielle. L’incertitude volontaire, sans filtre et sans décodeur…
croire et croître
toujours les mêmes verbes
la poudre aux cieux
Fermer les yeux, musique de toi, de choix, d’émois, entre Haendel et Thiéfaine, les ailes froissées et la langue nue, quête de sens et de paix, le plein de vide me remplit.
Danyel Borner
*
Henri Calet (Le bouquet, Gallimard, 1947)
Christian Cosberg (Juste la douceur du vent, Tapuscrit, 2016)
Salim Bellen (L’échelle brisée, AFH, 2007)
Issa (Mon année de printemps, Picquier, 2021)
Sōseki (Loin du monde, Moundarren, 2012)
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Kukaï de Lyon, jeudi 27 janvier 2022
"Cinq nuances de césure"
Animation : Patrick Chomier
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Danyel Borner, Jacques Beccaria, Catherine Guillot, Christian Lherbier, Annie Reymond, Nicolas Giacchero-Amat, Monique Thion
Aujourd'hui nous ne nous intéressons pas à la position de la césure mais aux différentes propositions avant et après celle-ci. Nous avons pris une douzaine de minutes pour écrire des haïkus successivement sur chacun des 5 types de césure suivants :
1 Extérieur / extérieur
A une réalité extérieure, on juxtapose une autre réalité extérieure
Sources thermales
la voie lactée
sur les corps nus
Shiki
Ondée printanière
maman est sortie
laissant son miroir retourné
Madoka Mayuzumi
2 Extérieur / intérieur
A une réalité extérieure, on juxtapose une réalité intérieure : un sentiment ou une sensation
J'ai tué une araignée
Solitude
de la nuit froider
Shiki
Ce matin c'est l'automne
à dire ces mots
je me sens vieillir
Issa
3 Extérieur / intérieur
A une réalité extérieure, on juxtapose une réalité intérieure : une pensée
couchant d'automne
la solitude aussi
est une joie
Buson
Eclipse de lune -
je regrette
ce haïku qui m'échappe
Toshio
4 Intérieur / intérieur
A une pensée ou une sensation, on juxtapose une pensée ou une sensation (les 4 combinaisons sont possibles). Notons ici que l'exercice est périlleux, exemple non probant.
5 Rapprochement
Suspendues dans la nuit
la poche de perfusion
la lune blanche
Kenshin
Nuit noire
je regarde par la fenêtre
on ne voit rien
Jean Antonini
Nous sélectionnons le meilleur haïku de chaque catégorie pour in fine en proposer 4 pour le kukaï. On se retrouve avec 35 haïkus et nous en choisissons 3 (nos 3 préférés sans tenir compte des catégories). A posteriori, nous tentons de les retrouver.
Pas un nuage
il me parle d'un ciel de pluie
le plombier
Béatrice Aupetit-Vavin (1) : 4 voix
insomnie
France Musique devient doucement
un rendort-matin
Danyel Borner (4) : 4 voix
Sur la table
Un fromage entamé
Bientôt la pleine lune
Jacques Beccaria (1) : 3 voix
Avec 2 voix :
pic de pollution
la basilique fond
sur la colline
Annie Reymond (1)
Nuit d'insomnie
joie de la marche
dans le long couloir
Catherine Guillot (2)
Dernier quartier de lune
Aurai-je le temps
De terminer ?
Jacques Beccaria (2)
moins trois
une gerbe de mimosa
éclaire mon dimanche
Danyel Borner (2)
Avec 1 voix :
La Saône reflète / des carrés de lumière jaune / sur le noir du trottoir
Catherine Guillot (1)
Etendue de brume / la tour sur la colline / amère mélodie
Nicolas Giacchero-Amat (2)
Région sauvage / chevreuil, blaireaux, faisans, geais / dans le jardin
Christian Lherbier (1)
Les phases de la lune / La vie sans doute / N'est pas aussi régulière
Jacques Beccaria (3)
elle souhaite / me faire la bise / et moi j'ai peur (2)
Il me prend dans ses bras / je ne me doutais pas / qu'ils étaient si grands (3)
forte tension au plexus / vais-je mourir / cette nuit (4)
j'écris / dans le brouhaha du café / bruit du sèche-mains (5)
Patrick Chomier
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Kukaï de Lyon, jeudi 6 janvier 2022
"Quel haïku jeter ?"
Animation : Jean Antonini
Participant.es : Danyel Borner, Marcelle Botto, Nicolas Giacchero-Amat, Irène Chaléard, Béatrice Aupetit-Vavin, Patrick Chomier, Christian Lherbier, Jacques Beccaria, Catherine Guillot
Quel haïku jeter ?
Peut-être vous souvenez-vous que, dans les séances des 11 janvier 2018, puis 10 janvier 2019, nous avons évoqué « le surgissement d’un haïku ». Puis, le 9 janvier 2020, nous avons souligné notre étrangeté avec le mot de Rimbaud : « Je est un autre ». En janvier 2021, confinement.
Pour le 6 janvier 2022, je vous propose d’aborder ce thème : Quel haïku jeter ?
« Dessous étendu│je prendrais à pleines mains│cerisier pleureur
Le Maître, qui devisait en chemin, dit : ‘ Ce verset figure dans un récent recueil de Kikaku.
Qu’avait-il en tête pour le retenir ? ‘Kyoraï dit : ‘ Ne rend-il pas pleinement compte de l’aspect du cerisier pleureur ? ‘
Et le Maître de dire : ‘ Et quand cela serait, à quoi bon ? ‘
Cette réflexion s’est gravée dans mon foie. Et pour la première fois, je compris la différence entre ce qui pouvait faire un hokku et ce qui ne le pouvait pas. »
Pour cette séance, apportez donc quelques haïkus dont vous n’êtes pas satisfaits, pour une raison ou pour une autre. Nous les lirons ensemble et chercherons ce qui cloche dans ces poèmes ; peuvent-ils être sauvés ou jetés ?
***
Retenir un hokku
Notons simplement les critères qui ont pu présider à l’abandon d’un poème ou d’un autre, explicités par Bashô :
- « Un verset qui manque de gravité n’est pas un authentique verset initial. »
- « Alors que je faisais mes premières armes, comme je m’enquérais de la manière de composer un verset initial, le Maître me dit : ‘ Un verset initial doit avoir de la force et un sens clair et concret !’ »
Ou encore :
- « Je me suis évertué quelque temps à faire entrer dans un verset le fait de ‘serrer dans la main une cigale pour la faire chanter’, tant l’image me paraissait heureuse. J’ai bien failli alors tomber dans le cliché désuet. » (19)
Comme tout poète, Bashô a dû ne pas écrire des poèmes qu’il avait en tête, ou bien jeter pas mal de versions, peut-être davantage de versions que celles que nous pouvons lire aujourd’hui, qui sont à peu près mille. Car le pratiquant du haïku a dans l’esprit, non seulement l’attente du surgissement, mais aussi le sentiment de ce que peut être un haïku, de la forme qu’il peut prendre, 5-7-5, mot de saison, césure, bien sûr, mais aussi sujets, thèmes qu’il peut aborder, audaces qu’il peut se permettre. Ce sentiment s’est formé par la lecture de nombreux haïkus. Lecture après lecture, certains haïkus particuliers sont venus dessiner les contours d’une idée du haïku. Cette image, ou plutôt cet ensemble d’images, chacun l’a en tête.
Quel haïku jeter ?
Alors, pour savoir quel haïku nous décidons de conserver dans nos carnets et quels haïkus nous préférons jeter, ouvrons nos carnets. J’ouvrirai le mien, pour commencer, avec quelques-uns des versets qui ne quitteront jamais leur carnet pour un livre, sauf usage exceptionnel comme ici :
il était une fois
une vieille femme
et elle mourut
C’est le premier poème que j’ai publié dans la revue lyonnaise VERSO, n° 18, en juin 1980.
Il m’a fallu quelques années pour comprendre que ce poème n’avait rien à voir avec un haïku, non pas à cause de sa forme : 5-4-4 (non classique, bien sûr), ni même à cause de son absence de mot de saison (nombreux sont aujourd’hui les muki-haïku qui ne présentent pas de mot de saison), mais parce que ce poème emprunte la forme typique du conte : « il était une fois » avec un personnage. C’est un micro-conte, un des plus courts que je connaisse, mais ce n’est pas un haïku et je ne le publierai pas dans le
prochain recueil complet de mes haïkus, sinon comme ici, pour montrer ce que n’est pas un haïku.
Venin des arbres
doux comme un brouillard
fouetté de ciel
« Venin », « fouetté » : on sent bien ici l’amour des mots exprimé par l’auteur. La scène se passe en hiver sans doute, vu le brouillard, mais avec un aspect surréaliste qui n’est pas du tout dans la spontanéité de l’écriture du hokku que prônait Bashô. À la lecture, on sent le travail sur les mots davantage que le surgissement de quelque chose venant de
notre relation au monde. Ce poème-là est resté à sa place, dans un carnet.
écrire
sans penser
poésie
Forme ultra courte, sans mot de saison, et qui témoigne bien du goût de l’auteur pour la réflexion. Le mot : « écrire sans penser poésie » conviendrait tout à fait comme conseil
d’écriture, singulièrement pour le haïku, mais il est beaucoup trop réflexif pour former le haïku lui-même. Il y a quelques versets réflexifs parmi les poèmes japonais, comme celuici, de Bashô :
inazuma ni satoranu hito no tôtosa yo
devant l’éclair
sublime est
celui qui ne sait rien !
Bashô note que l’éclair donne à penser au poète sur la brièveté du temps. Mais, ne pas penser devant l’éclair est admirable. Cependant, ces poèmes sont très rares.
aveuglée par les mots
la mort se casse
le poignet
j’ai tenté d’utiliser la mort comme personnage pour mettre en scène l’idée que l’écriture permet d’éloigner l’idée de la fin de la vie. C’est sans doute un poème qui a le charme
de montrer « la mort » en situation difficile, mais je ne pense pas qu’il ait sa place dans le genre haïku. La scène n’a aucun rapport avec la réalité que demande le haïku. Pourtant, j’ai trouvé dans « Fourmis sans ombre s » ce poème de Seisensui qui utilise également « la mort » comme personnage :
Plein midi d’été. La mort
les yeux mi-clos
regarde un homme
Mais ce dernier poème a l’avantage sur le précédent de présenter un mot de saison et d’être ainsi relié à la réalité.
Encore un autre que je n’aurais pas aimé publier bien qu’il ait, d’une manière ou d’une autre, réussi à se glisser sous mon stylo :
femme enceinte de 7 mois
passant
devant un cinéma porno
Sans doute ai-je saisi la scène alors que je marchais en ville. Bien que le haïku ne présente pas de mot de saison, son réalisme n’est pas mis en cause. Mais c’est le rapprochement de cette femme enceinte et du cinéma porno qui m’est apparue par la suite beaucoup trop grossière pour la publication. J’essayais sans doute de montrer que la pornographie a peu à voir avec la vie, dans une scène de la réalité, mais le contraste manque de finesse, pour le moins. Laissons-le de côté !
Ces haïkus ont été écrits dans les années 80, à une époque où je découvrais le genre avec la lecture de poèmes japonais. Ce sont, pourrait-on dire, des haïkus de jeunesse. En voici d’autres beaucoup plus récents qui restent encore dans leur carnet d’écriture et n’ont jamais pris l’air public.
« Me parlait de Russie
ça m’ouvrait des horizons »
― neige aujourd’hui ?
Il y a quelques années, j’ai essayé d’utiliser dans un haïku des paroles notées dans des journaux ou des revues. C’est le cas de ce haïku, mais ici aussi, la ligne 3 ne me semble
pas à la hauteur des deux premières. Venue après le mot « horizon », la question sur la neige ferme cet horizon, le réduit.
Dizaine de noms
le long d’une ligne noire
dizaine de noms
Je me souviens que ce haïku a atterri sur une page de mon carnet pour évoquer l’écriture d’une succession de noms sur une stèle ou simplement pour parler de la transformation d’une succession de noms en une simple ligne noire. Déjà, dans ma mémoire, le sens n’est pas clair. Alors, qu’en sera-t-il pour un lecteur, une lectrice ? La répétition est une figure que j’apprécie dans le haïku. C’est une façon de réduire le sens, d’en dire moins dans un poème qui dit déjà très peu. Et aussi, de créer un rythme. Ceci peut expliquer la ligne 3. En tout cas, cette ligne ne convient pas pour ce haïku. Il faut en trouver une autre qui puisse éclairer le sens du poème. Pas sûr qu’elle puisse être trouvée.
Au cours d’une relecture, il arrive parfois qu’une ligne surgisse pour remplacer celle qui ne convenait pas. Nous verrons...
Je terminerai l’ouverture de mes carnets sur des haïkus bancals par celui-ci qui s’accorde bien avec mon goût de produire Bashô autant que possible.
Table des matières ―
mon nom juste avant
celui de Bashô
Pour ce qui est de la forme, ce haïku tient la route, à mon avis. Il évoque une réalité, dans un livre dont j’ai oublié le titre. Mais ce qui me retient de le publier, c’est l’importance
qu’il donne à l’ego de l’auteur. Se comparer au « Maître japonais », c’est exagéré, même si cela témoigne d’une certaine ambition et d’un esprit de sérieux.
Proposition de travail
1. Chacun.e écrit en haut d’une feuille blanche le haïku dont il n’est pas satisfait.
2. Chaque feuille tourne et chacun.e propose une variante du haïku initial.
3. Le tour fini, chaque auteur.e lit son haïku et 2 variantes qui l’intéressent.
Résultats
Béatrice
habiter si près
arriver si tard
pas la première fois
Habiter tout près
Arriver très tard
Encore…
Catherine
habiter si près
et toujours en retard
pourquoi ? pourquoi ?
Jacques
Jacques
Tous ces souvenirs
Où sont-ils dans le cerveau ?
L’espace infini
Souvenirs d’été
À quelle profondeur enfouis
au creux des vagues
Irène
tous ces souvenirs
qui glissent dans la mémoire
― drôle d’automne
Jean
Patrick
Dans le métro
une jeune femme tricote ―
Bienveillance
sauf chez les smartphones
entre les smartphones
une jeune femme tricote
moi seul l’observe
Danyel + Patrick
Dans le métro
Une jeune femme tricote
Seule au monde
Marcelle
Irène
Voyage en train
et soudain mon regard croise
celui d’une vache
Ah les yeux d’une vache
Vus du train
Voyage à rebours
Marcelle
une vache
croise mon regard
« billet siouplaît »
Danyel
Catherine
Entre les massifs
Roses et roses fanées
Lit de béton sec
lit de béton sec
Massif de roses synthétiques
y a plus de saison
Christian
Entre les roses
Un massif
De béton sec
Jacques
Christian
Kiosque à musique
l’orchestre à tue-tête
Été
kiosque
la musique traverse le jardin
sans faiblir
Jean
Kiosque à musique
l’orchestre à tue-tête
à tue-tête
Patrick
Nicolas
Cabanon urbain
j’ai creusé à la bêche
un espace incertain
Espaces incertains
entre les quinze cabanons
jardin de poireaux
Catherine
dans mon cabanon
je creuse je creuse
― ah ! le voyage !
Jean
Danyel
touches de rousseur
comptées sur les doigts d’une main
l’or du train
Touches de rousseur
Comptées sur les doigts d’une main
Douceur de sa peau
Marcelle
Taches de rousseur
sur le bout des doigts
un train dans la nuit
Nicolas
Marcelle
Feuille d’automne
Sous ma semelle cachée
Le tapis l’a révélée
une feuille d’automne
collée sous ma semelle
finit au tapis
Jean
sous ma semelle
le kigo de chaque saison
parfum de feuilles
Danyel
Jean
dizaine de noms
le long d’une ligne noire
dizaine de noms
une dizaine de noms
le long d’une ligne noire
froid dans les allées
Danyel
dizaine de noms
le long d’une ligne noire
pas encore le mien
Béatrice
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Kukaï de Lyon, jeudi 16 décembre 2021
"Cut-up en cadeau"
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Nicolas Giacchero-Amat, Catherine Guillot, Christian Lherbier, Catherine Pigeon, Monique Thion
Rappelons brièvement que ces ateliers de découpage sont directement inspirés par la méthode dite du "cut-up" popularisée par les poètes de la Beat Generation dans les années 50. Eux-mêmes précédés par les surréalistes qui ont à peu près tout essayé en démarches ludiques d’écriture.
Ce type de séance produit comme à l’habitude des textes un peu étranges malgré une consigne de haïku avec césure donnée à la dernière minute une fois un stock suffisant de mots prélevés sans idée préconçue selon couleur, lettrine et taille dans des illustrés apportés. À l’abord des fêtes de fin
d’année bousculées par une situation sociétale encore difficile, le thème proposé est (au sens très large) : le cadeau que vous aimeriez avoir et celui que vous aimeriez faire.
Une large sélection de ces réalisations est visible, cliquable pour agrandissement dans la galerie ci-dessous...
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Kukaï de Lyon, jeudi 25 novembre 2021
"Vêtements"
Animateur : Jacques Beccaria
Participants : Danyel Borner, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Nicolas Giacchero-Amat, Robert Gillouin, Catherine Pigeon, Annie Reymond, Véronique Viala
D’abord, un tour de table pour échanger sur les questions que nous nous posons en écrivant ou en lisant des haïkus. Quelques points évoqués : le lien entre inspiration et rédaction, les difficultés liées aux première et troisième lignes, l’écart entre la culture japonaise traditionnelle et notre monde urbain contemporain, l’expérience vécue et la concision de l’expression, la lettre et l’esprit, liberté d’écriture et règles classiques, l’intention de l’auteur et sa réception ou non par le lecteur.
Puis, séance d’écriture et concours. Bientôt l’hiver, bientôt Noël, on ressort les vêtements chauds, on en achète, on en offre ou on en donne : kukaï donc sur le thème « Vêtements ».
ses petites mules
rangées dans mon souvenir
envie de neige
Danyel Borner (4 voix)
Avec 2 voix :
à carreaux à rayures
j’ai lavé sept chaussettes
j’ai toujours deux pieds
Annie Reymond
d’un pull l’autre
trop grand trop court trop troué
rien à donner
Annie Reymond
grands froids
« I want you » de Bob Dylan
en boucle
Robert Gillouin
la lampe reste allumée
pas d’autres vêtements
que sa peau nue
Véronique Viala
Avec 1 voix :
remontant la capuche / les pulsations du cœur à fond / dans les oreilles
Patrick Chomier
Ma mue / m’a laissé seul / une peau étrangère
Nicolas Giacchero-Amat
Debout devant mon armoire / il faut choisir / Vais-je lui plaire ?
Catherine Pigeon
il neige tant pis ! / mon bonnet tricoté vert / sur le noir pailleté
Irène Chaléard
Panthère noire / Sur le canapé / Son manteau
Jacques Beccaria
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Kukaï de Lyon, jeudi 4 novembre 2021
"Épiphanie et Synchronicité"
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Natacha Carle-Bezsonoff, Irène Chaléard, Patrick Chomier
L’épiphanie est sous sa définition grecque initiale une APPARITION, terme fort juste et usité pour qui pratique le haïku. Ce fut aussi un genre de poésie brève en prose (courtes notes, parfois dans un style télégraphique adapté à la fulgurance de notre vision : dialogues tout juste audibles, morceaux de scènes de rue, réminiscences vagues, associations d’idées...) un temps pratiqué par Joyce comme probables prémisses de son Ulysse. Roland Barthes qui fit des haïkus utilisa le terme en comparaison.
De fait, l’épiphanie est quotidienne pour qui est proche de ses sens, attentif à ce qui l’entoure et se mouvant à vitesse de regard focus ou panoramique.
La synchronicité, c’est autre chose mais tout aussi quotidien. Ces rencontres superposées de petits évènements dans une même ou très proche unité de temps et de lieu témoignent peut-être moins d’un esprit aiguisé à la poésie mais ici encore c’est bien d’attention qu'il est question. Ce mot ne cesse de fleurir partout avec des aspirations souvent irrationnelles. Mais la poésie n’a pas besoin de « signes » puisqu’elle les invente, aux deux sens du verbe : trouver comme un trésor et construire par les mots, les images.
Nous avons essayé dans un premier temps de lecture de trouver des haïkus réunissant une épiphanie synchrone dans des ouvrages apportés mais force est de constater que la subjectivité permettant de relever cela est difficile à rendre par écrit. Nous avons donc tenté d’écrire des haïkus avec une apparition OU une synchronicité limpide et naturelle plutôt que de manquer de cette apesanteur terrestre.
Avec 3 voix :
Seul au restaurant
Je croise mon regard
Dans la lame du couteau
Jacques Beccaria
rouille sur rouille
une pièce de cinq centimes
au milieu des feuilles
Danyel Borner
Avec 2 voix :
Badoit citron
l’eau à la bouche
au premier regard
Béatrice Aupetit-Vavin
le paradis peut attendre
dit-il
en atteignant la cime
Marcelle Botto
Avec 1 voix :
Cordes de pluie / trois notes d’ennui au piano / gros vague à l’âme
Irène Chaléard
elle est tout sourire / sur la photo / sur son cercueil
Patrick Chomier
Matin gris d’hiver / Au coin de la rue / Son sourire
Marcelle Botto
plouf dans la flaque / ses petites bottes blanches / vieux souvenir
Béatrice Aupetit-Vavin
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Kukaï de Lyon, jeudi 7 octobre 2021
"Dernière quinzaine"
Animateur : Patrick Chomier
Participants : Annie Reymond, Vincent Chalopin, Catherine Pigeon, Irène Chaléard, Natacha Carle-Bezsonoff, Béatrice Aupetit-Vavin, Danyel Borner, Jacques Beccaria, Robert Gillouin, Véronique Viala
1ère partie : Pour ce 1er tour de table de rentrée, nous donnons simplement notre nom suivi d'un seul conseil haïku à Vincent qui écrit de la poésie mais découvre le haïku aujourd'hui.
2ème partie : Kukaï
En nous inspirant de cette dernière quinzaine
– Écrire 1 haïku concernant le toucher
– Écrire 1 haïku concernant une contrariété, une difficulté récente
Puis, lors du vote, nous attribuons 2 voix, nos 2 haïkus préférés et pas forcément 1 de chaque thème.
Notons que la contrariété, la difficulté, thème plus ingrat, réussit à obtenir la parité : 5 partout.
première tasse de thé
d'abord me réchauffer
les mains
Béatrice Aupetit-Vavin : 4 voix
Livre fermé
La main sur le cuir souple
Avant la lecture
Jacques Beccaria : 4 voix
première flambée
une lourdeur administrative
s'accroche s'accroche
Véronique Viala : 3 voix
Ce petit érable
Nouveau au jardin
Les mains dans la terre
Natacha Carle-Bezsonoff : 2 voix
soleil d'automne
avec soin elle pèle
quelques tomates
Robert Gillouin : 2 voix
Comme à l'école
Une quinzaine de vieillards
Ecrivant des poèmes
Jacques Beccaria : 2 voix
poireauter sous la pluie
en mâchonnant
la pluie
Patrick Chomier : 2 voix
Avec 1 voix :
rendez-vous médecin / encore des kilos en moins / - des examens en plus
Béatrice Aupetit-Vavin
ôter sa montre / les caresses prolongées / d'un été qui s'allonge
Véronique Viala
fin d'été / de plus en plus blanche sous mes doigts / ma barbe
Robert Gillouin
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Kukaï de Lyon, atelier numérique de septembre 2021
"Vider ses poches"
Animateur : Danyel Borner
Participants : Jean Antonini, Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Natacha Carle-Bezsonoff, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Laurence Fischer, Catherine Guillot, Claire Mottet, Catherine Pigeon, Annie Reymond, Véronique Viala
L'époque est de plus en plus une course à se remplir les poches de la plus honteuse façon, et nous traversons une période où le besoin de se délester de certaines choses peut se faire sentir. Voici pour commencer la saison un premier kukaï numérique avec ce thème : "Vider ses poches".
Cela peut être fait de la plus tendre, poétique et rassurante manière (un marron dans une poche déjà rencontré en ces pages), ça peut aller jusqu'à "Vider son sac" pour s'exprimer sur un sujet mais subtilement sans aller jusqu'à l'anathème gratuit.
Juste au bord de l’eau
des ricochets - tac tac tac
Faire le vide
Catherine Guillot (4 voix)
chaque saison
sans crayon ni feuille
je suis nu
Danyel Borner (4 voix)
Brise marine –
se bombent puis se creusent
mes poches de short
Irène Chaléard (3 voix)
un caillou une plume
son numéro de téléphone
sur un ticket de bus
Claire Mottet (3 voix)
deux coquillages
un goût de sel
dans mon blue jean
Véronique Viala (3 voix)
ma veste en jean
trouvé une vieille barrette
d’avant ma chimio
Natacha Carle-Bezsonoff (2 voix)
veste de ski
tout gercé
le vieux stick
Véronique Viala (2 voix)
deux euros
deux euros cinquante, soixante
zut, j'ai pas assez
Patrick Chomier (2 voix)
Au fond de ma poche
une fleur de lavande séchée
Été trop court
Marcelle Botto (2 voix)
grosse colère
il vide son sac
dans son poème
Béatrice Aupetit-Vavin (2 voix)
Amertume de la bière
dans le brouhaha enfumé
Enfin, tout lui dire
Catherine Pigeon (2 voix)
Avec 1 voix :
un sourire et puis / je dépose mes dernières pièces / dans sa sébile
Annie Reymond
d'une poche à l'autre / se passer un sansonnet / blessé par vitre
Jean Antonini
Fin de l'été / Dans mes poches / Plus rien
Laurence Fischer
vide-poche / des tickets d'essence / et sa photo
Laurence Fischer
Trois heures du matin / Sortir faire un tour / Pour rafraîchir l'insomnie
Patrick Chomier
tour de passe-passe / rien dans les poches / rien dans les mains
Natacha Carle-Bezsonoff
Sac retourné / rendre le sable à la plage / fin des vacances
Irène Chaléard
en poche un livre / si fidèle compagnon / de voyage
Véronique Viala
vider mes poches / retenir le caillou rose – / fleur de chèvrefeuille
Claire Mottet
Dans ma tête / trop pleines ces poches / Les trouer
Catherine Guillot
un puits sans fond / disais-je du sac de maman / le mien aussi
Danyel Borner
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