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Kukaï de Lyon, jeudi 11 avril 2024
« Un monument, une construction »
Animation : Jacques Beccaria
Autour de la table : Christian Lherbier, Béatrice Aupetit-Vavin, Patrick Chomier, Marcelle Botto, Danyel Borner, Catherine Guillot, Robert Gillouin, Nicolas Giacchero-Amat, Jacques Beccaria
Le thème de cette séance : « Un monument, une construction » (deux haïkus ou poèmes courts proposés, deux retenus).
Sisyphe heureux
pierre après pierre
le facteur
Robert Gillouin (4 voix)
châteaux de sable
d’une enfance sans océan
parfum des glycines
Danyel Borner (3 voix)
Habiter une bulle
le futur
éclate
Catherine Guillot (2 voix)
la basilique
à la gloire de « l’éternel »
en feu
Christian Lherbier (2 voix)
Avec 1 voix :
un creux dans l’herbe
pour enrouler
mon nid
Catherine Guillot
des remparts
qu’une vague
efface
Christian Lherbier
En rêve, mon école
le plus grand immeuble
de mon enfance
Marcelle Botto
Ils grattent tant le ciel
que le soleil a disparu
new night
Marcelle Botto
matin lumière
sur le gris des falaises
premier café
Robert Gillouin
Ce petit château fort
Dans ma mémoire
Un cadeau de Noël
Jacques Beccaria
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Kukaï numérique de mars 2024
« Je suis touché par la grâce lorsque la grâce me touche »
Animateur : Danyel Borner
Participants : Jean Antonini, Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Christelle Berthon, Marcelle Botto, Natacha Carle-Bezsonoff, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Laurence Fischer, Nicolas Giacchero-Amat, Claire Mottet, Catherine Pigeon
Thème fort à propos (une phrase écrite il y a 35 ans...) de ce kukaï numérique de mars tandis que nombre d’entre nous rencontrent poésie et poètes pour un « Magnifique Printemps » contant la grâce. Une grammaire haïku amoureuse, passionnée ou juste éblouie autour de cette phrase avec le plus de suggestion possible sans reprendre les mots du thème.
Avec 4 voix :
sur la fleur
seul
le papillon
Nicolas Giacchero-Amat
Un haïku très visuel, très simple, très épuré. Pour moi, le plus beau de ce kukaï numérique. La grâce est là, pleinement.
Laurence Fischer
J’aime la simplicité et la délicatesse de ce haïku, deux qualités qui pour moi évoquent la grâce. On dirait que seul le papillon est digne de se poser sur la fleur, suffisamment léger, suffisamment beau …
Claire Mottet
Quintessence de la contraction. Tout est dit dans ces quelques mots, avec une magnifique économie de mots.
Catherine Pigeon
Coup de cœur pour cette lumineuse écriture !
Natacha Carle
elle traverse le jardin
tenant un bol de framboises
– un papillon la suit
Jean Antonini
Le jardin… Une image originelle... Point de serpent, ici, mais un papillon. Point de domination ni de séduction, mais coopération et amitié : un bol de fruits à partager.
Jacques Beccaria
Quel gracieux tableau ! Ayant moi-même un jardin et des framboisiers il m’est arrivé de voir mes petits-enfants le traverser en portant un bol de framboises. À la lecture de ce haïku je me suis facilement imaginé une fillette portant avec précaution ce bol rempli de framboises ; mais la réussite de cette scène tient surtout à la troisième ligne qui vient en redoubler la grâce, la fraîcheur et la légèreté avec la danse de ce papillon la suivant … peut-être pour accompagner les pas dansants de celle-ci, ou peut-être par gourmandise voulant goûter aux framboises.
Béatrice Aupetit-Vavin
Vers évocateurs de la légèreté, l’insouciance, de la capacité d’émerveillement de l’enfant. Ils me rappellent ma nièce aux anges, ses dix doigts habillés de framboises !
Christelle
Berthon
Toute la grâce d'un jardin résumée dans ce haïku ; un chien ou des fraises auraient été à mon goût beaucoup moins charmants. Bref ! J'adore même si le tercet dépasse un peu le nombre de syllabes classiques pour le haïku.
Irène
Chaléard
Avec 3 voix :
si vite partie
son rire résonne
parmi nos pleurs
Claire Mottet
Un joli texte sur un départ. J'imagine celui d'une dame aimée. Est-elle partie pour un voyage ou est-elle morte ? La grâce est là, par sa présence éphémère qui a illuminé la vie du/de la haijin.
Laurence Fischer
J’ai apprécié la simplicité et la concision de ce haïku qui dit en peu de mots la tristesse traversée du souvenir du rire de la personne disparue. La première ligne « si vite partie » peut laisser à penser que sa disparition a été si soudaine que l’on n’a pas eu le temps de s’y habituer et que c’est presque comme si le rire - de plus peut-être particulièrement sonore - de la personne surgissait brusquement au milieu des pleurs et des regrets, comme si elle était présente et bien vivante. Un beau haïku qui m’a touché au cœur.
Béatrice Aupetit-Vavin
J'aime les haïkus qui courageusement et sans pathos abordent nos grandes peines et nos fortes douleurs. Ici, malgré le chagrin, la présence vive de la disparue ; cependant pour moi, le haïku serait plus fort en permutant les lignes 2 et 3, restons sur le « résonne » et emportons le en silence.
Patrick Chomier
allongé dans l'herbe
je contemple la pleine lune
la nuit mise à jour
Patrick Chomier
La clarté d’une lune bien ronde illumine la nuit. Spectacle saisissant. Ou est-il plutôt question d’une illumination intérieure ? Quoi qu’il en soit beaucoup de place ici, pour le songe et la rêverie.
Nicolas Giacchero-Amat
Elle est haute la pleine lune, en ville séquencée par les immeubles et souvent les nuages. Parfois par chance pile dans l’axe d’une fenêtre à une heure d’insomnie. Prendre le temps de s’allonger en un lieu propice, se laisser absorber, happer par ce globe énorme de lumière supportable, regarder une planète dans les yeux, sans lunettes d’approche ni pensées colonisatrices, avec la candeur du loup poète, voilà un bel état de grâce !
Danyel Borner
Rêverie, errance, instant de laisser aller, de grâce. « la nuit mise à jour » joli….
Marcelle Botto
douceur des draps
un battement d’elle
dans la cage thoracique
Nicolas Giacchero-Amat
Un très joli haïku, qui débute par le poétique mot « douceur » et qui se termine par le brut « thoracique », qui n'est pas un mot que l'on voit fréquemment apparaître dans la poésie, et pourtant ici il trouve pleinement sa place. le « battement d'elle » apporte la grâce.
Laurence Fischer
Ah, si je ne choisissais pas ce texte, c'est vraiment que je n'aurais plus goût à la Vie ! Car oui, au gré des amours enfuies ou enfouies et la difficulté de survivre serein dans un monde hostile, ce « battement d'elle », ce palpitement est d'abord celui du souffle qui nous anime. Métronome lent pour une bonne santé, certes, mais aussi soulèvement plus vif d'une aile qui vole hors de sa cage dans un plus vaste ciel. Possiblement à deux si la grâce est au rendez-vous. Les justes mots affûtés d’une belle sensibilité d’écriture.
Danyel Borner
Je trouve très beau ce « battement d’elle ». La douceur n’est pas que dans les draps, ce haïku en est rempli.
Catherine Pigeon
jour de tempête
le revoir
en coup de vent
Laurence Fischer
J’imagine le heureux hasard, ou au contraire la rencontre longuement préméditée, qui met en accord la météo, l’événement et peut-être bien l’humeur de l’auteur.e ! La grâce de l’instant !
Claire Mottet
On ne sait pas où est la tempête (dedans ? dehors ? Sans doutes les deux). Les émotions sont là, à fleur de peau, mais avec pudeur. C’est visuel, je me sens dans la scène évoquée, j’aime beaucoup.
Catherine Pigeon
Avec 2 voix :
J'ai croisé Athéna
Athéna aux yeux pers
Dans un brouillard
Jacques Beccaria
Presque glaçant de beauté. Mythologie parcourue ou lue avec passion, inscrite dans l’histoire d’une civilisation prônant la sagesse et dans l’histoire des arts, cette déesse protectrice ne peut qu’inspirer et il arrive qu’une sidération incarnée rencontre le mythe fondateur pour qui navigue en des mondes ou l’imaginaire est un moteur de chaque instant. Ce brouillard transpercé par des « yeux pers » ne serait-il pas la substance de toute notre existence ou du moins ce que nous en retenons, souhaitons en retenir ?
Danyel Borner
Après avoir laissé reposer suite à deux lectures de cette nouvelle série de haïkus, cette Athéna remontait à la surface : Athéna et brouillard. Croiser la grâce dans la littérature, par les projections qu'elle opère sur nos vies (sur nos quotidiens pas toujours éblouissants de grâce) dans un brouillard. Plongé dans la lecture d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust une réplique d'une belle scène de brouillard (scène appelée "le soir de l'amitié") me revient : « Ce n'est pas tout de se perdre, mais c'est qu'on ne se retrouve pas. »
Patrick Chomier
Le soleil rose
caresse le Taj Mahal
Fondre dans la lumière
Catherine Pigeon
Dans ce haïku tout est douceur. Il traduit bien ce rêve d’amour du Prince pour sa bien aimée dans ce fondu de formes et de couleurs.
Marcelle Botto
Douceur, harmonie, délicatesse, pureté, perfection, sans connaître cette merveilleuse architecture, je l’imagine à merveille. « Une porte d’ivoire par où passent les rêves », selon les mots de l’écrivain britannique Rudyard Kipling
Christelle Berthon
Un Ave Maria s’envole
dans la chapelle
Pleurer, mais de joie
Catherine Pigeon
Ce haïku m’a retenu car il évoque l’émotion que donne la musique, c’est rare dans le genre. Le poème serait sans doute plus classique en inversant les lignes 1 et 2.
Jean Antonini
J'aime beaucoup ce haïku qui dégage une forte émotion et une impression de légèreté des notes musicales qui parviennent jusqu'aux oreilles du lecteur. J'entends presque l'Ave Maria. Côté forme, l'alternance en début de ligne Majuscule / minuscule m'interroge.
Irène Chaléard
Avec 1 voix :
Un air de musique
Elle danse, elle a quatre ans
Ses yeux brillent
Marcelle Botto
La grâce des enfants est toujours une grande émotion : fraîcheur, nouveauté ; le monde qu’ils découvrent nous fait voir le monde bien plus beau.
Jean Antonini
sieste sous le saule
le bruissement du ruisseau
berce mes rêves
Béatrice Aupetit-Vavin
Vision gracieuse et délicate, avec en plus la grâce de la simplicité.
Natacha Carle-Bezsonoff
Bougie allumée
Derrière le Paravent
tu te déshabilles
Christelle Berthon
Belle vision, pourquoi la majuscule à « Paravent » ? Pour plus de solennité ?
Natacha Carle-Bezsonoff
Un rai de lumière
entre les persiennes mi closes
Foin de l’hôpital
Marcelle Botto
Un haïku tout en clair-obscur, qui pour moi parle de l’art de trouver la beauté - le bonheur - là où on ne l’attend pas. En plein dans le thème !
Claire Mottet
au matin indigo
j’ouvre grand les volets
à la lumière du jour futur
Natacha Carle-Bezsonoff
Le « matin indigo » m’évoque les chèches des touaregs, le désert, source d’introspection et de lumière divine. Chaque jour est neuf.
Christelle Berthon
Un cygne glisse
en miroir son reflet
quel est le plus gracieux ?
Irène Chaléard
C’est mon choix coup de cœur. Il est très visuel : J’ai suivi le mouvement du cygne glissant sur l’eau que je me suis imaginé dans une ambiance calme et sereine et j’ai vu les deux images : le cygne et son reflet. Les deux étant gracieux. J’ai beaucoup aimé par ailleurs la troisième ligne qui est une ouverture par le questionnement adressé au lecteur et qui nous renvoi à notre choix personnel en nous laissant libre de la réponse sans l’imposer. J’aime contempler - et aussi photographier - les reflets dans l’eau que je trouve souvent plus beaux que la réalité et ma réponse est donc que c’est le reflet qui est le plus gracieux …
Béatrice Aupetit-Vavin
Soleil anglais
Lumière brouillardeuse
tamisent le fleuve
Christelle Berthon
Tous les éléments nécessaires sont dans ce haïku pour plomber l’atmosphère comme dans un tableau de Monet. Ah ! quel charme ! Le brouillard met en marche l’imagination.
Jean Antonini
eau à profusion
debout dans les nuages
le héron
Claire Mottet
Comme une apparition solennelle hiératique, haïku en complète adéquation avec la consigne. Instant de grâce, de rêve presque. Complètement touchée !
Marcelle Botto
atelier de haïku
une grande table des livres
des sourires la lumière
Jean Antonini
Les animateurs de kukaï seront sensibles à ce haïku qui va du plus lourd au plus léger. D'abord, la partie matérielle, l'organisation et la préparation nécessaire, apporter la bibliothèque portative, les petits papiers déjà découpés. Puis, c'est la récompense à travers ce qui est dit, non dit, échangé ; les interprétations fleurissent, la précision augmente, les faciès changent et quelquefois (souvent au Kukaï de Lyon) dans un silence intérieur partagé : la lumière.
Patrick Chomier
longue balade harassante
soudain une source
Ahhh
Patrick Chomier
La
source fait son grand retour au kukaï numérique ! Ici point de
définition métaphysique c’est d’une source bien physique dont
il s’agit. Elle apparaît enfin, au bout du chemin. On imagine le
soulagement pour l'auteur, il est palpable. Très sonore, en tendant
l’oreille on entendrait presque ses halètements.
La dernière
ligne n’est pas accessoire, c’est elle qui donne sa tonalité et
sa couleur à l’ensemble et c’est une sacrée prouesse avec
quatre lettres seulement. Rafraîchissant !
Nicolas Giacchero-Amat
Une branche bouge
Point de vent
L’oiseau s’est envolé
Marcelle Botto
L’image est vive. Capter la beauté d’un mouvement éphémère, pour laisser la nature parler presque à notre place, on est pas loin du Wabi-sabi. Tout est presque là, sans être jamais vraiment à sa place. On croirait ce haïku tout droit sorti d’un recueil de maîtres japonais. Superbe !
Nicolas Giacchero-Amat
si belle et mortelle
la serveuse du café d’Aabybro
porte un verre d’eau
Jean Antonini
Dans ce haïku, chaque mot semble pesé, depuis la précision d'une grâce féminine non divine jusqu'au contraste entre le côté exotique de la deuxième ligne et la simplicité du verre d'eau. Un beau haïku court/long/court. Bravo !
Irène Chaléard
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Kukaï de Lyon, jeudi 22 février 2024
« Sourire ou grimace »
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Christelle Berthon, Patrick Chomier, Nicolas Giacchero-Amat, Robert Gillouin, Catherine Guillot, Christian Lherbier, Catherine Pigeon, Margot Pommier
Après un tour de table, heureux de compter de nouvelles plumes et un retour parmi nous, séance d’atelier avec choix de trois haïkus. Un texte issu de nos carnets en thème libre et écriture inspirée avec la proposition « Sourire ou grimace ». C’est parfois une hésitation de ressenti profond qui conduit aux perles de rire ou au rictus douloureux. Évocation de ces états francs ou en demi-teinte au long de notre parcours de vie sans citer si possible les mots du thème. Pas de distinction pour le mode final entre tercets écrits sur place ou faits maison.
Devant le miroir
tirer la langue
journée de soleil
Catherine Guillot (4 voix)
petit-suisse
je déroule ton papier mouillé
avec mes doigts d’enfant
Robert Gillouin (4 voix)
Saint-Valentin
elle semble heureuse et perplexe
une rose dans chaque main
Patrick Chomier (3 voix)
Dire au revoir
en ne faisant rien
regarder les arbres
Catherine Guillot (3 voix)
Devant ma tasse de café
Celle d’hier
Celle de demain
Jacques Beccaria (2 voix)
dans le ciel pur
la calligraphie d’une mouette
ma plume en suspens
Béatrice Aupetit-Vavin (2 voix)
la pluie sur le toit
au temps où j’habitais
Kopenhagener Strasse
Nicolas Giacchero-Amat (2 voix)
grasse matinée
le silence après Mozart
me réveille
Danyel Borner (2 voix)
après l’averse
deux clowns tristes et poisseux
sur l’affiche du cirque
Patrick Chomier (2 voix)
Avec 1 voix :
derniers jours de février | ouvrir le volet | au soleil
chez des amis | en plat principal | de la biche
Christian Lherbier
Comme la Joconde | Ni trop ni trop peu | À peine
Jacques Beccaria
rando raquettes | mal partout | mais si douces ses mains sur moi
champ d’edelweiss | on se gèle les cacahuètes | contre un rocher
Robert Gillouin
chaque jour | un peu de théâtre | la boulangère rit
Danyel Borner
Mon cœur | s’emballe, cent balles | sur le bon coin
Patrick Chomier
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Kukaï de Lyon, jeudi 25 janvier 2024
« Le moment précis de mon coucher »
Animateur : Patrick Chomier
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Danyel Borner, Catherine Guillot, Christian Lherbier
Nous poursuivons la focalisation sur ces moments de l'existence souvent vécus machinalement : aujourd'hui, le moment de notre coucher. Pour nous mettre dans l'ambiance , nous prenons le temps pour une lecture interactive des quatre premières phrases d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Ce soir, nous allons nous aussi écrire en prose en gardant une forme courte, ces quatre phrases nous servent alors de jauge (elles occuperaient onze lignes et demie sur ce blog) ; nous remarquons également que l'auteur a utilisé une quinzaine de fois un pronom personnel ou un adjectif possessif (six différents : je, moi, me , mon, ma, mes) et nous sommes invités nous aussi, ce soir, à plus nous centrer sur nous-mêmes.
Longtemps, je me suis couchée de bonne heure. « Les enfants, il est neuf heures, il est temps d’aller vous coucher » disait mon père de sa voix grave et autoritaire. Je me couchais alors sans tarder, du côté droit de mon lit, laissant libre le côté gauche afin que mon ange gardien puisse venir s’y glisser. Plus tard, après que le temps des bondieuseries fut passé, et disposant d’un grand lit pour moi seule, j’ai continué cependant à me coucher du côté droit, mais sans penser à mon ange gardien. Maintenant que le temps a passé, bien passé je me couche toujours du côté droit; les pensées tournent alors souvent dans ma tête, me posant parfois des questions sur l’au-delà et il m’est arrivé au réveil de chercher une réponse dans l’inconscient de mes rêves, ou de me demander si je ne serai pas trop à l’étroit, le jour venu dans mon cercueil, afin de laisser à mon ange gardien la place qui lui revient.
Béatrice Aupetit-Vavin
Si je ferme les yeux bientôt, avant onze heures, ils ne se rouvriront que bien plus tard, quand j’aurai déjà bien dormi. Toujours ça de pris. Dans un lit, c’est quelque chose que j’aime aussi faire, dormir…Un peu plus bas, juste à côté, l’heure est là, brillante de ses quatre chiffres rouges, bien lisibles, bien présents, sous le noir du mur. Mes yeux se sont rouverts et je vois mieux les ombres maintenant, des sombres, des plus claires et encore des noirs, plusieurs noirs foncés et leurs brouillards. Mon corps s’assouplit, s’alourdit, se dissout entre les deux draps qui n’en sont plus qu’un, s’ancre dans le matelas, lui aussi devenu flou. Celui du dessus est bien lourd, comme j’aime ; je suis à l’abri. Je pars, je quitte les proches passés et les vécus du lendemain. Je ne pense plus à dormir, et je m’endors. Viennent les rêves que je ne retiendrai pas pour qu’ils ne me retiennent pas entre mes draps.
Catherine Guillot
Il va falloir penser à me coucher!
Combien de fois dans la soirée je me le répète, installé sur le canapé devant la télé. Allez ! Encore un dernier épisode de la série. Mais au générique de fin je zappe. Tiens ! sur la 5 un débat. Je bâille à nouveau, résiste jusqu'à la fin. Je me sens bien, je ne pense pas. La tension de la journée a disparu. À nouveau je zappe. Quelle heure ? 23h25. La télécommande dans une main je me lève, tombe sur la 8. C'est l'autre con alors je zappe, ne pas en rester là ; je m'arrête sur une chaîne d'info en continu, et là les manifestations, les violences, les traques, les guerres, les échanges agressifs entre les journalistes et les invités, entre les invités experts. Ma tension remonte. Stop. Je ne bâille plus. J'éteins la télé, repose la télécommande, direction la salle de bain et je me couche l'esprit en ébullition. Allongé, les yeux fermés, je me repasse le film de ma journée. Mon esprit saute d'un sujet à l'autre. J'essaie de me concentrer, de me recentrer, alors je refais mentalement les enchaînements des 4 premières sections du Taï chi. Jamais je n'arrive au bout.
Christian Lherbier
Quand j’ôte mes lunettes, en général, c’est que je vais me coucher. J’ai refermé un livre, j’ai jeté un dernier regard dans la rue. Parfois, je vois la lune.
Le lit, la lampe de chevet, le plafond, tout est là pour que je puisse m’en aller dans le monde des rêves.
Jacques Beccaria
Un éclair dans l’œil. La chambre est si claire en trouée d’hiver. Premier ou troisième réveil ? Je ne sais si je me projette en des années adultes de souvenirs ou si j’ai soudain de nouveau sept ans. Il est des gouffres et des passerelles suspendues qui se matérialisent avec la même perception aiguë et flottante. Une jambe cassée, une fin de covid, plus de cinquante traversées littéraires et sensitives avec la même dolence, la même chaleur de nuque. Ici, c’est ici dans ces vallons de félicité fiévreuse que me vient toujours le meilleur du monde ou ce que j’en suppose et propose en partage. Écrire c’est d’abord goûter le silence, apprécier les oiseaux et se brûler les paupières sur les pages de nos découvertes avant la décoloration des ombres mouvantes et le grand bain en avant. Petit dans un petit lit, grand dans un lit queen size, hélas livré sans reine.
Danyel Borner
Après avoir éteint la lumière du couloir - jamais je n'allume la lampe de la chambre avant mon coucher - les quelques pas dans la nuit noire n'entament pas ma certitude d'atteindre paisiblement le lit. Par contre, quelquefois, à peine allongé, de l'angoisse et du stress remontent dans mes poumons et mon crâne ; comme si le mouvement d'abandon sur le dos avec sa belle intention d'obtenir un sommeil profond et réparateur venait immédiatement en interdire l'accès. Dès lors, avant que le trop-plein ne soit atteint, je prends en mains vigoureusement le drap, m'assurant d'abord que le lit soit bien bordé ; les bras écartés, légèrement surélevés et en biais afin d'épouser une voile calibrée pour m'extirper et grâce à l'amplitude de mon souffle prendre le large.
Patrick Chomier
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Kukaï de Lyon, jeudi 4 janvier 2024
« Poème et prose de début d’année »
Animateur : Jean Antonini
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Danyel Borner, Marcelle Botto, Patrick Chomier, Nicolas Giacchero-Amat, Catherine Guillot, Christian Lherbier, Catherine Pigeon, Margot Pommier
Première séance de l’année, Jean propose un atelier en deux temps. Avec des haïkus du nouvel an apportés par tous et après une première lecture d’exemples de textes de Bashō, nous rédigeons par petits groupes une forme plutôt courte où prose et haïkus se mêlent. Une prose poétique, la plus libre possible. Nous faisons ensuite un kukaï traditionnel à un seul tercet avant de nous réchauffer de gourmandise.
Groupe Jean + Nicolas + Bashō (proposé par Jean) :
lune et neige
mes seuls compagnons de l’année –
fin de l’an
- Mon cher Bashō, que dirais-tu d’une petite salade d’endives…
- Oh ! une trattoria dans la ruelle à gauche…
désorienté par la lampe
un papillon de nuit
tape à la fenêtre
- Laissons venir à nous les papillons de nuit… c’est un sphinx tête-de-mort !
- Avec qui je passe la nuit du réveillon ?
- Avec la lune et la neige. Pas beaucoup de neige ce soir.
- Et demain encore ?
Laisser couler l’eau
lentement sur le sachet de thé
– c’est l’hiver
- Cher Bashō, comment trouves-tu ce thé en étant loin de chez toi, que vois-tu ?
- J’aime bien voyager, dans ce haïku par exemple :
dans les rizières
le va et vient des paysans
– voyageur est mon nom
- Seul ou en compagnie ?
- C’est un plaisir d’être ensemble.
- Les jours de l’an se ressemblent et pourtant jamais les mêmes.
Groupe Catherine P + Jacques + Danyel :
Enfance évanouie, un rêve de neige. Des amis nouveaux d’une nouvelle vie. Un souffle ou une gifle de vent donnent envie d’écrire. Il y a tant de façons de partager une lumière, intérieure ou bain d’ombres et de sourires.
métro de nuit
les escarpins fatigués
dans ses petites mains
Entre crépuscule et aube, quelques flocons pour traverser le Rhône, seul.
Groupe Marcelle + Catherine G + Christian :
Un peu de nuit
un peu de neige
sur le jasmin d’hiver
Champagne et résolution
rien ne brille dans ses yeux
Nuit du Nouvel An
Au matin
pas encore de traces de pas
La visite du bourdon
dans les roses de Noël
Groupe Béatrice + Margot + Patrick :
jour de l’an –
en y réfléchissant
triste comme un soir d’automne
« Certes, mais en y réfléchissant bien, c’est une année de moins que l’an prochain ! »
kukaï
champagne et galette
quatrième jour de l’an
***
Kukaï :
Douze coups de minuit
les bulles pétillent
sans moi
Catherine Pigeon (5 voix)
aube du nouvel an
le chasse-neige a balayé
les idées noires
Béatrice Aupetit-Vavin (3 voix)
trois sapins
sur le parking
Épiphanie
Patrick Chomier (2 voix)
Ce matin j’ai remonté
Mon vieux réveil mécanique
Tic-tac tic-tac
Jacques Beccaria (1 voix)
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Kukaï de Lyon, jeudi 14 décembre 2023
« Trouver la paix »
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Patrick Chomier, Catherine Guillot, Christian Lherbier
Séance annuelle de découpage issue du principe du cut-up, on peut en lire les bases dans les archives du blog du Kukaï de Lyon. Ciseaux et colle, feuilles A4 couleur champagne, nous essayons de répondre au thème donné une fois seulement les mots découpés suivant un mode aléatoire. On peut sans hésiter dire que le lieu de nos rendez-vous est bel et bien propice pour trouver la paix dans un partage poétique.
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Kukaï de Lyon, jeudi 23 novembre 2023
« Un objet »
Animation : Jacques Beccaria
Avec : Béatrice Aupetit-Vavin, Danyel Borner, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Catherine Guillot, Christian Lherbier
Séance en trois temps : écriture libre sur le thème « Un objet », lecture silencieuse puis devant le groupe avec discussion.
dans le miroir
un visage fatigué
j’essuie le miroir
Patrick Chomier
Un rayon matinal
Sur ma guitare
Couverte de poussière
Jacques Beccaria
La clochette « Napo »
silencieuse dans la vitrine
résonne encore à mes oreilles
Béatrice Aupetit-Vavin
À côté de mon côté de lit
sur un étage de la mini bibliothèque un bougeoir en étain qui ne sert à rien.
Il est là depuis longtemps.
Il devrait être à la cave avec les autres objets au rebut en attendant le don ou la déchetterie.
Ça a été un cadeau.
On ne parle pas
de la flamme du souvenir
au Kukaï de Lyon
Catherine Guillot
Qu’est-ce que c’est ?
Il saisit la trousse à outils, une boîte noire, défoncée qui ne protégeait plus l’objet à l’intérieur. Il la retourne. L’objet glisse, manque de tomber. Il le rattrape, du regard le détaille : plat, d’une vingtaine de centimètres de longueur, en métal. Un long « manche » et à une extrémité un bec allongé en deux parties, une coulissante sur ce « manche ». Sur toute la longueur, des graduations.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Un pied à coulisse.
- Ça sert à quoi ?
Haïku du bricoleur
chercher à comprendre
en vain
Christian Lherbier
Longtemps j’ai imaginé le boomer. Petit salon de musique, mes archives ou le flux du meilleur rendu classique et jazz, la stéréo avec une belle présence supporte-t-elle le 2.1 ? Geek aux poches trouées, j’essaie d’avoir la meilleure ambiance avec du matos entre « old school » et « up to date » selon les conclusions de ma patience et de mes recherches. Enfin ! Ce petit caisson a trouvé sa place entre mes enceintes JMLAB de 1998. Je redécouvre mes disques et mes fichiers ! Attaques de violoncelles, contrebasses ou basses électriques, l’orchestre vibre de présence, le club de jazz est aux couleurs de mon lit, ça blues et rock jusque dans mes os. Et je ne parle pas des films pour se plonger encore plus au cœur de l’action. Orson Welles avait raison : « Le plus grand écran de cinéma, c’est la radio ».
Danyel Borner
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Kukaï de Lyon, jeudi 9 novembre 2023
« Maux de saisons »
Animateur : Danyel Borner
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Nicolas Giacchero-Amat, Catherine Guillot, Christian Lherbier, Caroline Martinez, Catherine Pigeon
Clin d’œil ou hommage à cette constante du haïku japonais classique, issu des almanachs de mots de saison, nous traiterons dans un premier temps de choses plus ou moins personnelles qui nous paraissent surprenantes, lassantes ou pénibles dans une ou plusieurs saisons, sous la forme d'un texte de quelques lignes, en prose ou un haïbun. Ensuite, kukaï traditionnel avec deux haïkus différents du premier texte. Sur les deux tercets, pas plus d'une saison citée nommément et plus volontiers suggérée. Nous aurons ainsi en quelque sorte un mini saïjiki de nos préférences et agacements saisonniers.
J’aimais bien, en ce temps-là, le mois de septembre : raisin blanc, poires, soleil adouci, et les marronniers de la place Bellecour.
Jacques Beccaria
Maux de saison
Depuis plusieurs années, à chaque fois, c’est la même chose. Arrive inévitablement le moment où, d’après le calendrier, l’été devrait tirer sa révérence, la chaleur s’estomper, la pluie revenir. Mais il n’en est rien et, bien au contraire, le beau temps joue les prolongations…
Il est alors attendu de chacun, de chacune, la seule posture écologiquement recevable : s’insurger publiquement des désastres causés par ces conditions estivales qui s’attardent et réclamer haut et fort le froid et le ciel gris. Dont acte.
C’est donc alors du bout des lèvres que je me risque à évoquer, sans vraiment oser m’adresser directement à qui que ce soit, mon amour du soleil, du ciel bleu, des tenues légères et des soirées en terrasse. Ou comment avoir l’impression d’énoncer des grossièretés, ce qui n’était que lieux communs il y a si peu de temps encore…
Catherine Pigeon
Ce soir, pas de parapluie ! Des gouttes sur le visage, des pensées perçant l’épaisseur de la terre sous nos pas...
De flaques éparses
en lacs clairs –
Avec de la menthe
Catherine Guillot
Drôle de Drôme
Pour une fois on sort de Lyon. J’ai douze ans, besoin de voir un autre air et de respirer en couleur. Petite visite à Valence où est née Mamy, prévision du Palais du facteur Cheval dont j’ai vu des photos noir et blanc avec mes parents jeunes bien avant ma naissance. Pour lors, Dieulefit, cité des potiers et des Justes, juste à côté de Poët-Laval village d’un copain d’école.
Comment décrire cette épreuve ? Au bout de quelques jours, je sens que je suis habité par une poivrière. Entre les poteries, sous l’œil noir des artisans locaux qui ont peur pour leur art, me viennent des salves d’éternuements par lot de dix, quinze, vingt… Tout l’hôtel, les ruelles, vibrent de puissantes déflagrations qu’on est en peine de croire sortir d’un si malingre môme. Prévu en concert la semaine à venir, l’affiche de Manitas de Plata me regarde courroucée. Serais-je un concurrent déloyal ? Il faut bien en convenir, la fuite est le seul salut.
Atchaaa
Atchaa Atchaaa Atchaaaa
le bleu des lavandes
Danyel Borner
***
nu sur le lit nu
on voudrait laisser sa peau
au vestiaire
Danyel Borner (4 voix)
Avec 3 voix :
angoisse au marché
du céleri sur chaque étal
encore la saison !
Irène Chaléard
Froissement des feuilles
Sous mes pas pressés
Il est long le chemin de l’école
Marcelle Botto
automne
trouver le printemps
dans la lumière
Béatrice Aupetit-Vavin
Avec 2 voix :
« avec ce temps
on sait plus comment s’habiller »
premier contact
Patrick Chomier
Paris ligne 13
la plage
au bout du quai
Nicolas Giacchero-Amat
Boules de neige
et rires d’enfants
J’ai oublié mes gants
Catherine Pigeon
Avec 1 voix :
À chaque pas | la croûte de glace crisse | une douce pesanteur
Caroline Martinez
Palombaggia | l’ombre des pins parasols | sur mes avant-bras
Nicolas Giacchero-Amat
ronron en boucle | des vieux films en noir et blanc | le ciel en osmose
Irène Chaléard
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Kukaï de Lyon, jeudi 5 octobre 2023
« La Dignité »
Animateur : Patrick Chomier
Participants : Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Danyel Borner, Marcelle Botto, Nicolas Giacchero-Amat, Robert Gillouin, Christian Lherbier, Catherine Pigeon
En cette rentrée, nous choisissons comme thème pour le kukaï : La Dignité.
Bien entendu, il ne s'agit pas de donner son opinion sur l'actualité : les guerres, les migrants, etc mais bien de retrouver et traduire en haïkus des scènes de nos vies personnelles où ce sentiment (deux versants possibles) a été ressenti.
grandir
seul avec Cyrano
lire et relire
Danyel Borner (3 voix)
Avec 2 voix :
La porte claque
dans son dos,
je ne pleurerai pas
Catherine Pigeon
messe d'enterrement
un rire étouffé
pris pour un sanglot
Béatrice Aupetit-Vavin
Mariage de Tonton
je préfère passer mon temps
avec le chien
Nicolas Giacchero-Amat
Mélancolie d'octobre
Il manque deux boutons à ma chemisette
Jacques Beccaria
Avec 1 voix :
Feuille blanche / tenter un HAIKU / Puis s'abstenir
Soutenir l'effort / Pas à pas jusqu'à l'arrivée / Sous les regards
Christian Lherbier
Pas un mot / Sous la violence de l'insulte / Il garde le silence
Marcelle Botto
ma grand-mère / jamais une plainte / et pourtant
Béatrice Aupetit-Vavin
se priver / mais avec des pâtes Rummo / faim de moi
Danyel Borner
lentement le vent / remue l'ombre du sapin / abattu
Patrick Chomier
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Kukaï numérique de septembre 2023
« Histoires d’eau »
Animateur : Danyel Borner
Participants : Jean Antonini, Béatrice Aupetit-Vavin, Jacques Beccaria, Marcelle Botto, Christine Boutevin, Natacha Carle-Bezsonoff, Irène Chaléard, Patrick Chomier, Nicolas Giacchero-Amat, Robert Gillouin, Claire Mottet, Annie Reymond, Véronique Viala
Thème de ce kukaï numérique de rentrée : « HISTOIRES D'EAU », pas tant pour le jeu de mot que pour la plus grande de nos préoccupations.
Nous avons tous, des fonts baptismaux (pour les plus hypermnésiques) au dernier plouf en crique déserte (pour les chanceux), des souvenirs, des ressentis, des passions personnelles ou partagées pour l'élément liquide qui nous constitue en majeure partie. Laissons remonter ces eaux (au grand maximum une seule citation du mot "eau" pour vos trois haïkus, merci).
Avec 1 voix :
la nuit est tombée
la Saône continue de couler
vers la mer
Jean Antonini
J'habite tout près de cette rivière. J'adore me faire balader par ma chienne Caouette le long de ses quais et de ses chemins de halage. Et en la regardant couler, bien souvent je me dis que j'assiste toujours au même spectacle... et pourtant… Et là, j'apprends que, même la nuit, le spectacle continue !
Robert Gillouin
saison sèche
des villages abandonnés
au camion citerne
Natacha Carle-Bezsonoff
J’ai choisi ce haïku d’abord pour sa chute qui me plaît beaucoup et fait tellement écho à des événements d’actualité : les villages des Pyrénées orientales privés d’eau, les jardins qu’on ne peut plus arroser à cause de la canicule précoce. J’aime beaucoup aussi ce haïku parce que jusqu’au mot « citerne », j’ai eu dans la tête des images de guerre, d’exil et ce dernier mot vient et me fait réinterpréter le sens.
Christine Boutevin
rivière
la vie lentement
suit son cours
Robert Gillouin
J’apprécie particulièrement la concision de ce haïku si expressif avec le double sens sur le mot cours : cours de la rivière, cours du temps. Simplicité et finesse. La concision rend bien aussi la longueur du temps, à la fois lent et inexorable dans son déroulement.
Natacha Carle-Bezsonoff
derniers coups de rames
silence sur le lac
vol des oies sauvages
Claire Mottet
Ce haïku est très poétique comme une bulle de douceur qui apporte une sensation de sérénité et de fraîcheur.
Irène Chaléard
La voix de l’eau
dans ma tête
coule
Nicolas Giacchero-Amat
Et même super cool - 8 syllabes. Certes en première lecture, on perçoit un haïku de rentrée avec juste une phrase coupée en trois cependant ici (ce qui n'est pas le cas, pour moi, dans les autres haïkus courts - 12 syllabes maximum - de cette série) ces 2 césures dues au passage à la ligne créent un espace qui apporte vraiment quelque chose au haïku et me donne l'espoir qu'un jour prochain (ou probablement un peu plus tard) nous, occidentaux, puissions avoir accès au Ma.
Patrick Chomier
Courir sur la grève
chahutée par les vagues
Devenir la mer
Marcelle Botto
Très évocateur pour moi ce haïku m’inspire un retour à l’état sauvage, à l’expérience de liberté absolue. Au cours de la lecture, on change de perspective, puisqu’un passage s’opère, une métamorphose. D’un état à un autre, la mince frontière entre identité intime et monde extérieur se dissout.
Nicolas Giacchero-Amat
le manège tourne
sous la pluie de septembre
le beau Danube bleu
Véronique Viala
J’aime le rythme ternaire, circulaire, de valse, de ce haïku, qui s’écoule bien, tout en restant dans le thème.
Claire Mottet
averse bienfaisante
les graminées dansent
une javanaise
Béatrice Aupetit-Vavin
D'une averse l'autre. Ha ! La javanaise d'une graminée … Et ce féminin me plaît et me surprend comme pour le mot giboulée - une longue histoire de mon enfance.
Annie Reymond
clairs et légers
mes rêves traversent
la rivière
Béatrice Aupetit-Vavin
Rêves clairs et légers. Quelle chance! La rivière est ici soit le symbole de l'impossible, de l'inatteignable, soit l'image d'un don. Mes rêves, je les abandonne, ils s'en vont... de l'autre côté de la rivière.
Robert Gillouin
au pied du mur
les pissenlits assoiffés
pour seuls compagnons
Christine Boutevin
J'ai tout de suite imaginé la scène, un être accablé par la chaleur, immobile assis dans l' air brûlant quand tout mouvement est une épreuve, à l'heure où chacun reste à l'ombre en quête de fraîcheur. Que fait-il là ? J'aime bien lire ce haïku avec le « p » qui revient à chaque ligne.
Irène Chaléard
parfum vespéral
Vivaldi à toute allure
dans le bain moussant
Christine Boutevin
Un condensé d’images qui m’a tout de suite frappé. Je vois le bain bouillonner et ébullir, son auteur tout pris qu’il est par cette course effrénée, presque folle du Concerto Vivaldien.
L’espace sensoriel/bien être du bain parfumé pulvérisé ! Le pouvoir de la musique a sculpté l’élément liquide peut-être…
Nicolas Giacchero-Amat
des/espoirs de pluie
dans le plissé de sa jupe
le ciel étoilé
Christine Boutevin
Beau poème érotico-poétique.
Marcelle Botto
Avec
2 voix :
Au marché des Tupiniers
La tête vide
Parmi les pots et les bols
Jacques Beccaria
Quel humour, avoir la tête vide comme les pots et les bols ! Et le marché des Tupiniers manquait au haïku lyonnais ! Le haïku est 7-4-7.
Jean Antonini
Quand on connaît l’étymologie du mot « tête », ce haïku est encore plus amusant. La tête vide, la tête creuse, la tête qui a tourné ? C’est un haïku qui ne se prend pas trop au sérieux, et j’ai aimé la sonorité du mot « tupinier ».
Véronique Viala
JE SAIS PAS NAGER
en riant ils me balancent
par-dessus bord
Patrick Chomier
Je n’ai heureusement pas connu cela, mais voilà un texte qui me touche et me met dans la même colère qu’une scène du film La Meilleure Façon De Marcher de Claude Miller vu à sa sortie en 1976. Les protagonistes étaient de jeunes adultes mais on sait que les plus jeunes encore sont tout aussi empreints de cette bêtise dangereusement ordinaire que peut produire l’effet de groupe et que l’on ne cesse de voir se répandre à l’école et désormais sur les réseaux sociaux. La première ligne en majuscule amplifie le cri, c’est glaçant.
Danyel Borner
J’ai apprécié la formulation en majuscules qui traduit bien l’impact du vécu de l’instant.
Béatrice Aupetit-Vavin
Seul
mes mots-pluies
sur la page froissée
Nicolas Giacchero-Amat
Forcément, je suis touché. La forme épouse le propos, 1-3-5, une goutte, puis trois, puis cinq sur la page. Une lettre reçue, une lettre écrite et réécrite ? Pleurs, sueur de forgeur de mots ? La condition de poète, sensible au monde et tentant d’en transcrire un substrat tient dans ces quelques mots. Une musique aussi.
Danyel Borner
Un poème court... Tableautin romantique ou scène de genre : solitude, écriture, lecture et relecture. La forme est triangulaire, bien taillée. Sur un support, il y a des mots et au-dessus, quelqu’un. « Mots, page » d’un côté, de l’autre, « pluies, froissée ». L’écrit est lié à l’élément liquide, la pluie, et par association d’idées à l’encre et peut-être aux larmes : on peut y voir de la mélancolie, mais aussi la sérénité de l’artisan appliqué et persévérant.
semblant d'orage
beaucoup de bruit pour rien
dans le seau trois gouttes
Irène Chaléard
Qu’il est sonore ce texte ! Je les entends ces gouttes dans le seau que j’imagine en fer. Trois notes de pluie, mais un grand vacarme. La vie, en somme et nous humains qui râlons si souvent pour pas grand chose… un vrai haïku, simple et profond, avec une sensation, la nature, une construction classique… j’aurais aimé l’écrire, comme disent les copains…
Véronique Viala
J’ai choisi ce haïku (même si j’aurai personnellement formulé la troisième ligne en inversant par « 3 gouttes dans le seau ») mais j’en ai apprécié la première ligne et surtout la ligne 2 « un bruit pour rien » souvent employé au figuré qui l'est ici judicieusement employé au sens propre.
Béatrice Aupetit-Vavin
ce creux caillouteux
il y avait là un lac vert
l'automne dernier
Irène Chaléard
Ce n'est plus une menace lointaine. On peut voir de fait les effets du changement climatique avec non seulement la modification du paysage mais aussi la disparition des couleurs associées au lieu.
Marcelle Botto
Le haïku permet de dire les choses les plus fortes avec les mots les plus justes. Le choix du « creux caillouteux » que l’on voit autant qu’on peut le ressentir sous les pieds, la beauté du souvenir du « lac vert » et l’emploi de la saison qui symbolise le wabi-sabi. Absolument parfait dans sa métrique, son propos et la force de son constat désolant.
Danyel Borner
Avec 3 voix :
Brasse coulée
la voix de mon père
m'apprenant à nager
Marcelle Botto
Ce haïku est du même style que celui de “la source”, associant un souvenir à une expression mais ici, la relation est plus évidente. L’adjectif “coulée” apporte une touche d’humour à ce souvenir d’apprentissage avec le père. Le haïku est 3-5-6.
Jean Antonini
Ce haïku me parle, en écho à ma mémoire, ma mère m'apprenant des rudiments de brasse. La forme 4/5/6 me plaît; elle avance comme le mouvement de la nage…
Irène Chaléard
Avec ce haïku, je sens l’ambivalence, un côté désespoir avec la « brasse coulée », et peut-être affectueux ou mélancolique avec la voix paternelle ? Simple et complexe à la fois.
Claire Mottet
« la source »
le jour où j’ai découvert
l’histoire de mon nom
Danyel Borner
Ce haïku a quelque chose de mystérieux en reliant l’expression « la source » et l’histoire d’un nom, et en même temps, la source est la métaphore du début d’une histoire : un jour particulier d’une histoire intime, fondatrice. Alors, le mystère ne semble pas si profond, mais l’ensemble est léger et grave à la fois. Le haïku est 2-7-5.
Jean Antonini
J’aime beaucoup le mot source. Il est à l’origine de… On remonte le temps ici pour « retrouver » une histoire, une étymologie, une explication… Le mystère subsiste, y a-t-il un lien entre le mot source et le patronyme de l’auteur, est-ce simplement le lieu où lui a été expliqué cette histoire ? On aimerait la connaître…
Véronique Viala
J’ai apprécié le coté un peu mystérieux de ce haïku qui m’a donné envie d’en savoir plus. Aussi parce qu’il évoque un évènement précis, marquant et portant une charge émotive qui m’a renvoyé à l’histoire de mon prénom.
Béatrice Aupetit-Vavin
averse d’été
dans mes bottes en caoutchouc
une grosse limace
Véronique Viala
Très visuel, saison bien évoquée avec cet enchaînement de cause à effet : la pluie, les bottes en caoutchouc, la limace… On y est.
Marcelle Botto
Parce que la limace est grosse !
Annie Reymond
Voilà un haïku narratif : une scène bien connue, racontée avec simplicité, mais très évocatrice ; on ressent bien cette grosse limace ! Il me touche aussi car il évoque des moments que j’ai vécus moi-même. C’est une façon de les revivre.
Natacha Carle-Bezsonoff
Avec 4 voix :
à chaque orage
l'odeur du premier jardin
lumière dans les yeux
Danyel Borner
Bel hommage au pétrichor, ce vocable bizarre, qui renvoie au passé si présent de ma découverte des odeurs de mon petit jardin d'enfance sous la pluie…
Robert Gillouin
Ce qui m’a d’abord plu c’est la L2 : qu’est-ce que ce « premier jardin » ? Cela a suscité de la curiosité. J’ai pensé au jardin d’Éden, à Adam et Ève, au paradis. Mais quelle odeur pouvait-il y avoir dans ce jardin ? Puis j’ai pensé au jardin d’enfants comme si l’orage nous ramenait dans les souvenirs de ce jardin. Personnellement je n’ai pas eu de jardin enfant, mais l’image est tellement stéréotypée que c’est comme si j’en avais eu un, imaginaire du moins. Enfin, j’adore le lien entre la L1 et la L3 car pour moi la lumière est celle des éclairs de l’orage : quoi de plus fascinant que cette lumière venue du ciel !
Christine Boutevin
Une ambiance sacrée, originelle, qui rappelle également la fin du film « Soleil Vert ».
Patrick Chomier
J’aime « l’odeur du premier jardin », c’est tout-à-fait ça ! il y a quelque chose de jubilatoire quand quelqu’un d’autre exprime mieux que soi ce que l’on voudrait dire, parfois même avant qu’on l’ait pensé.
Claire Mottet
Avec 5 voix :
retour d’obsèques
prise entre les essuie-glaces
une feuille sèche
Véronique Viala
J’ai opté pour ce haïku pour son originalité et sa justesse. Ici le contraste est saisissant, entre la lourdeur du rituel funéraire et le retour à la vie quotidienne après avoir fait face à la mort. La « feuille sèche » prise entre les essuie-glace agit comme un profond rappel sur la nature éphémère de la vie. Un instantané précieux.
Nicolas Giacchero-Amat
Ce haïku m’a immédiatement saisie. Je trouve le lien entre la L1 et la L3 d’une grande beauté. Il m’évoque la tristesse et les larmes liées au deuil que l’on sèche après la cérémonie. En même temps qu’une scène très réaliste du cortège funèbre qui rentre en voiture peut-être pour se retrouver ailleurs qu’au cimetière, ces mots disent implicitement le cœur serré comme une feuille sèche, les sanglots retenus dans les essuie-glaces. J’adore ce contraste entre un objet très prosaïque et l’émotion. Enfin, j’aime beaucoup le « sèche » à la fin qui peut être l’adjectif ou le verbe. Bravo à l’auteur ou à l’autrice !
Christine Boutevin
Cette feuille sèche : comme un pense-bête laissé pour ceux qui restent. Il a bien été capté.
Patrick Chomier
Parce que je l'ai vécu cet été.
Annie Reymond
Très beau haïku, triste et imagé. Avec le rapport entre la mort et la feuille sèche. La pluie à l’image des larmes, ou des yeux embués. Un haïku plein de finesse et assez bouleversant en fait dans sa pudeur expressive.
Natacha Carle-Bezsonoff
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